Vous vous souvenez de ce slogan : « Vos photos sont précieuses ! »
Mais lorsqu’elles sont grignotées, colonisées, dévorées par la moisissure issue des infiltrations d’eau et des inondations jusqu’à être abîmées à un tel degré, que peut-on faire si ce n’est prendre la décision terriblement douloureuse de s’en débarrasser, le cœur chaviré et la mort dans l’âme ? Tous ces souvenirs auxquels on renonce définitivement et dont on se fera une raison, la raison du plus fort : le temps physique et le temps météorologique dans leur œuvre de dégradation implacable.
… Et c’est en bas de ma rue que je l’ai trouvé !!
“Un album de photographies ravagé par les dégâts des eaux, sauvé il y a une quinzaine d’années, dans le conteneur à poubelles d’en bas de ma rue. Je l’ai recueilli instinctivement, moi qui ai si peu de photos de ma famille, comme si quelqu’un avait abandonné un bébé dans un couffin sur le pas de ma porte, parce qu’il m’était inconcevable de voir cet immense gâchis, toutes ces photos sinistrées de gens, quand bien même ils m’étaient inconnus…”
De ces instants de vie mémorables réduits à néant, qu’en faire quand quinze plus tard je retombe dessus dans un coin de ma remise. D’abord bien les nettoyer, les rendre présentables… puis les regarder attentivement…
“De ce travail, je me suis pris au jeu : Le hasard m’avait lancé un défi et d’autres mots me venaient immédiatement à l’esprit : « Rien ne se perd, tout se transforme » à condition de bien observer et d’y insuffler suffisamment d’imaginaire.”
« Une sorte d’attraction singulière et hypnotique me poussait à observer les images avec de plus en plus d’attention et je me surprenais à en examiner les détails, à en ausculter la matière ainsi que leur rendu, à les interroger intérieurement, à voyager dans le temps, dans les méandres des histoires de vie d’une famille d’à côté. Évidemment sur la plupart des photos les gens ne sont pas reconnaissables, les moisissures en ont endommagé un bon nombre. Néanmoins ces inconnus ont fini par se révéler familiers à mes yeux et sur certains tirages, des altérations étonnantes, surprenantes, variées en couleurs, en texture et en apparence m’ont intrigué. Sur quelques clichés, on peut encore distinguer voire deviner des fragments de vie d’une famille modeste probablement des années 90, peut-être d’origine immigrée: des fêtes, le bonheur d’un mariage, des moments de joies, des visages déformés que ne renierait ni un Picasso ni un Francis Bacon sur lesquels on devine des esquisses de sourires, un bébé et son papa, un chien, des moments de détente au ski, à la plage, en camping au bord d’une piscine… Des scènes de vie somme toute ordinaires comme il doit y en avoir dans bon nombre de familles mais Ô combien rassurantes, apaisantes, attendrissantes. »
« La tristesse avait cédé le pas à la curiosité et à l’évocation libre et joyeuse de souvenirs. Et c’est un genre nouveau de réflexion photographique mi réelle, mi imaginaire, comme une (en) quête au pays de la mémoire qui se déroulait sous mes yeux que je nommerais en hommage à Paul Strand « Evanouissances on my doorstep / sur le seuil de ma porte» (The World on my doorstep », Paul Strand
” Quant aux autres photos, il m’a semblé y déceler des sortes de mini tableaux abstraits colorés en miniatures que ne laisseraient aucun peintre ou amateur de peinture insensible. L’alchimie de l’eau et des pigments des photos conjuguée à l’action des moisissures leur conféraient des aspects, des teintes et des motifs uniques, des combinaisons inédites. Chacune d’elles constitue une pièce unique, autonome et originale possédant ses propres vibrations chromatiques” .