Un dialogue humble et délicat, entre photographie, témoignages et poésie, sur la vie après un drame écologique.
Avant la catastrophe nucléaire du 11 mars 2011 à Fukushima, les relations entre les individus, leur communauté et les cycles de la nature étaient très fortes dans la région, en particulier dans les villes les plus touchées entourant la centrale de Fukushima Daiichi. L’accident, dont les conséquences continuent de se faire sentir aujourd’hui, a bouleversé durablement ces relations. Comment vivre alors dans un nouvel environnement sous la menace constante de taux de radiation élevés ? Comment exister lorsque la simple liberté de vivre au présent a été supprimée ? Quand sensations et perceptions charnelles ont été ébranlées et que les liens unissant une communauté à son environnement ont été compromis ?
Telles sont les questions qu’évoque ce livre, avec pudeur et délicatesse, dans un dialogue à plusieurs voix.
Installée au Japon depuis 2010, la photographe française Delphine Parodi se rend à Fukushima pour la première fois durant l’été 2012. Pendant sept ans, elle y retourne régulièrement, aussi bien à l’intérieur de la zone d’évacuation forcée de 20 kilomètres autour de la centrale que dans les « trois pays » de la préfecture de Fukushima. Celui de la côte « hamadori », longeant le bord de mer où est située la centrale nucléaire Daiichi, celui du milieu, « nakadori », et celui de l’arrière-pays « Aizushio », en direction d’Aizu. Elle photographie, écoute et recueille les témoignages des personnes évacuées et des habitants de la préfecture. Ses images réalisées avec un appareil moyen-format, présentées sous forme de diptyques, font dialoguer paysages intimes, souvent insondables – rivières, montagnes, lacs, forêts, carrefours, bancs isolés – et portraits d’habitants, le corps à la jonction entre intérieur et extérieur, comme un vecteur de conscience de l’environnement. Un dialogue qui suggère l’altération de leur rapport à ces lieux aussi bien que l’importance de la mémoire individuelle.
La romancière et poétesse japonaise Yoko Tawada, qui vit en Allemagne, a elle aussi entamé un travail à la suite de la catastrophe. Delphine Parodi et Yoko Tawada se rencontrent à Berlin en décembre 2012. Des résonances profondes émergent entre leurs voix qu’elles décident d’unir. Yoko Tawada se rend à son tour à Fukushima en 2013 et rencontre les personnes que Delphine Parodi avait précédemment photographiées. Le même mois, elle écrit les vingt-quatre poèmes publiés dans ce livre, en allemand d’abord, avant de les traduire elle-même vers sa langue maternelle, le japonais, puis qu’ils soient ensuite traduits vers le français et l’anglais par ses traducteurs littéraires attitrés, Bernard Banoun et Bettina Brandt. Ce sont des poèmes qui empruntent à la fois à l’esprit japonais et à une langue très contemporaine, guidée par les situations et les voix qu’elle a patiemment captés.
Combinant diptyques photographiques, poèmes, témoignages et souvenirs en quatre langues, Out of Sight est le fruit de ce projet à long terme. Naviguant entre le visible et l’invisible, ce livre donne forme à ce qui reste une menace constante mais imperceptible, et se veut un rappel à la conscience collective, rappel devenu universel en temps de pandémie.