Publié à l’occasion de l’exposition à l’Espace Contretype (Bruxelles) du 10 mars au 30 avril 2004.
Hubert Grooteclaes disait : “c’est facile de faire une bonne photographie : il suffit de supprimer tout ce qui est laid !”. Jean-Paul Brohez a une autre méthode : tout accepter… mais donner la bonne place à chaque chose. Et cela donne des images comme celle avec un fauteuil rouge. Avec des calligraphies orientales sur le siège. Une moto que l’on semble réparer. La selle est rouge. Un garçon à pantalon rouge joue avec une toupie. Rouge. Une caisse dont on aperçoit un côté. Rouge. Qui d’autre aurait eu l’idée d’une telle composition? Ou plutôt qui l’aurait vue? Qui l’accepterait?…
Tout accepter c’est aussi laisser toutes les interprétations possibles, suggérer bien des niveaux de lecture…
Prenons le début : sur une même page, une maison, celle d’aplovous sans doute, dans un champ, presque terminée, et sur l’image du dessous, un champ, vide, avec juste une trace couleur de la maison disparue…
Et si l’image suivante, avec son rideau mi- pluie-mi- végétal, représentait la barrière à franchir pour entrer dans une autre réalité? On est dans le réel, bien sûr, la vie de Jean-Paul Brohez. Mais ce chat, parfois blanc, parfois noir, déambulant sur cet échiquier ou cette mini cour du Louvre condruzienne, n’appelle t’il pas autre chose… Alice?… on trouvera d’ailleurs plus loin des pensées qui sourient…
Jaccottet, parlant des gravures illustrant les premières éditions de Jules Vernes, notait que le côté vague, imprécis de leurs légendes, en accentuait encore le charme. Il n’y a aucune légende dans le livre de Jean-Paul Brohez… mais des séquences d’images qui reprennent ce principe d’ouverture, d’indétermination. Je peux donner une interprétation de l’une d’elles…. Mais il y en a cent autres. Prenons celle qui commencerait avec cette photo de vaches, à peine vaches… et sur la page suivante, au-dessus, un pur verre d’eau dans l’herbe verte, en dessous, une flaque de sang bue par la terre. La page suivante nous montrera des carcasses d’animaux. Et la dernière image nous montrera un aplovou se voilant la face… Interprétation d’un vieil écolo… Quelle serait la vôtre?
On pourrait aussi imaginer d’autres lectures : en suivant la piste des animaux; en suivant le rouge; en changeant le point de départ des séquences; en repérant les oppositions entre la nature, ses signes, sa calligraphie foisonnante, et le monde construit, la calligraphie simplifiée des aplovous… chaque fois un autre livre se construit…
Il est aussi impossible de classer ces images, que les champignons, qui envahissent, toujours plus nombreux au fil des pages, le livre de Jean-Paul Brohez. A ce sujet ne pas oublier de relire “le vrai mystère des champignons” d’André Dhôte. La dernière page des “aplovous” suggère l’immersion totale de l’auteur dans cette mystique des champignons…
Ne surtout pas rester sur une seule lecture. Plusieurs seront nécessaires pour goûter les subtilités de ce livre… dans chaque image, mais aussi dans sa mise en page… A commencer, par exemple, par la couverture. Avec des faux airs de scène bucolique. A y regarder de plus près, la fillette en avant plan, semble bien inquiète… l’enfant sur les genoux du jeune adulte ne pleure-t-il pas?… et le personnage à l’extrême droite : que suggère son air inquiet, son geste suspendu… que se passe-t-il dans le champ voisin,… une maison viendrait-elle de disparaître?…
Il y a du Saint Benoît Joseph Labre chez JP Brohez. Ce saint dhôtelien (4), qui par humilité cachait son immense dévotion. Jean Paul lui cache son métier, son savoir-faire de photographe. Et pourtant il est là. Très grand. C’est même une condition indispensable pour réussir ce genre d’images, ce genre de livre. Unique. Sinon on est dans le n’importe quoi, l’aléatoire complet. Or ici on a affaire à une œuvre parfaitement maîtrisée, mais ouverte. Rare. – Jean-Louis Vanesch