Le musée des Arts décoratifs conserve près de 700 photographies rehaussées de couleurs et appartenant à la vogue des « Yokohama Shashin », produites au Japon du début des années 1860 jusqu’au tournant du XXe siècle. Paysages, monuments, scènes théâtralisées et portraits véhiculent une vision stéréotypée du pays du Soleil Levant. Chaque photographie étant mise en couleur manuellement, une même image peut se décliner en termes de gamme chromatique et de motifs, offrant ainsi une subtile diversité. Parmi les maîtres du genre, Felice Beato et Raimund von Stillfried, qui forment Kusakabe Kimbei photographe dominant la production depuis son studio établi à Yokohama. Ce dernier propose tant des épreuves et des objets ornés de photographies que des albums de soie ou de laque, s’adaptant ainsi aux désirs et à la bourse d’une clientèle variée mais plus souvent occidentale que japonaise. À la fois objets de collection, d’inspiration et de connaissance, ces photographies données par Raymond Koechlin en 1903, par Hugues Krafft en 1914 et par Gustave Schlumberger en 1929, seront pour beaucoup d’entre elles montrées pour la première fois en novembre 2023 au musée des Arts décoratifs en même temps que le salon Paris-Photo. Une sélection magnifique de ces photographies fait l’objet de cette publication.
Ces photographies, produites au Japon du début des années 1860 jusqu’au tournant du Xxe siècle, sont conservées dans des albums et un portfolio. Elles représentent les paysages, les monuments, mais aussi les villes anciennes ou en mutation, jusqu’aux scènes quotidiennes ou théâtralisées, peuplées de protagonistes de la culture japonaise : femmes en kimono, samouraïs, yakuzas, prêtres, porteurs de palanquins. Les shashin n’ont pas vocation à représenter les réalités du Japon au moment de la prise de vue, mais doivent confirmer l’idée que les Occidentaux, qui visitent le Japon et collectionnent ses artefacts, s’en font, projetant leur quête d’une civilisation « exotique » ancienne, malgré les modernisations réalisées sous l’ère Meiji.
Le pinceau du coloriste donne vie à la photographie grâce à la couleur des tissus, la brillance des armures, les reflets de l’eau dans les paysages. L’intemporalité recherchée est exprimée par la monumentalité des types posés sur des fonds accessoirisés ou épurés. Parmi les maîtres du genre, on trouve Felice Beato, Raimund von Stillfried et Kusakabe Kimbei, dont les ateliers dominent successivement la production. Les shashin témoignent de processus de création similaires aux arts appliqués et révèlent les phénomènes d’apprentissage, de collaboration et de reprise d’atelier remettant en cause la notion d’auteur unique.
Certaines de ces images figurent au programme des expositions universelles, avec les arts libéraux ou dans les sections anthropologiques qui présentent « Le travail et son histoire », en 1878 et 1889, par exemple. Leur réception est donc complexe, dans un contexte colonialiste, nostalgique et touristique. À la fois objets de collection, d’inspiration et de connaissance, ces photographies données ou léguées à la bibliothèque du musée des Arts décoratifs, pour servir de modèles d’inspiration, par Raymond Koechlin en 1903, par Hugues Krafft en 1914 et par Gustave Schlumberger en 1929, appartiennent à des collections plus vastes, comprenant souvent du mobilier, de la céramique, du textile et des objets de décoration que leurs propriétaires offrent parfois également au musée ; avant-propos de Sébastien Quéquet, édité par Joanna Letchimy et Emmanuel Berry.