Yann Castanier a passé quinze années auprès de ses grands-parents à les photographier en train de disparaître : d’abord son grand-père, atteint de la maladie d’Alzheimer, ensuite sa grand-mère, touchée à son tour par une démence fronto-temporale « Je crois que cette histoire particulière a un écho en chacune de nos familles. Nous avons tous une personne touchée par une maladie neurodégénérative.
Il ne s’agit plus de sensibiliser. Il s’agit de relater comment nous vivons ces moments de nos existences, comment nous réagissons à côté de la maladie et de la mort, ce qui se passe en nous et entre nous, ce qui nous permet de nous retrouver. »
À l’aide de cinq procédés photographiques, tous argentiques, l’auteur rend compte de l’évolution de leurs maladies respectives. La matière se dégrade comme leurs cerveaux dysfonctionnent. Les images deviennent moins lisibles au fur et à mesure leurs perceptions de la réalité s’altèrent. L’émotion de leur disparition et le processus neurologique en cours sont transmis dans un même geste.
En premier lieu, son grand-père, placé en EHPAD et bloqué dans le passé, est pris en photo dans un noir et blanc charbonneux. Sa grand-mère tente alors de le retenir de la chute dans des abîmes de noirs profonds.
Dans le même temps, Yann Castanier photographie sa grand-mère chez elle, seule, ainsi que les traces de son grand-père laissées dans leur maison avec des pellicules couleurs non-altérées. La colorimétrie est franche et fidèle. « Ma grand-mère est dans la réalité. »
Son grand-père décède en 2010. Fin du noir et blanc. « Fin des photos de mamie chez elle. »
Mais en 2015, sa grand-mère est diagnostiquée avec une démence fronto-temporale. Il choisit alors d’utiliser des pellicules couleurs périmées comme troisième procédé. « Il y a une continuité avec la couleur mais des nuances baveuses traduisent l’altération de sa perception de la réalité. »
Quelques années plus tard, elle subit un AVC. Les mots sont plus confus, souvent insensés. Yann Castanier provoque des entrées de lumière dans son boîtier, voile les pellicules. « Dans un brouillard, elle devient de plus en plus inaccessible. »
Puis, la maladie prend le dessus. Les neurones s’imposent. Il jette des produits chimiques sur des tirages de ses photos photo. « Sa représentation et son être sont absorbés par la matière neuronale. »