Armé d’un téléobjectif, Jean Christian Bourcart s’est posté à un carrefour de New York et a photographié les voyageurs coincés dans leur voiture au beau milieu des embouleillages
Traffic s’impose comme un regard photographique contemporain majeur, saisissant la déshumanisation urbaine de la figure humaine d’un geste à la fois tendre et machinique.
Les photos de Jean-Christian Bourcart nous voient.
Nous, nos reflets, nos attitudes, nos sourires involontaires, nos sourcils froncés… tout ce que nous sommes lorsque nous n’avons pas conscience d’être regardés, lorsque nous mêmes, nous ne nous voyons pas . “Il poursuit un travail baroque, destiné à provoquer le spectateur autant que lui-même, à déranger les frontières classiques de la perception, à contourner les apparences et les interdits” (Brigitte Ollier)
Le lieu privilégié d’un tel “cabinet voyeur” : les transports, solitaires (voiture) ou en communs, et plus précisément le bus qui permet à la lumière de créer des ombres, des superpositions de reflets, des rencontres inattendues d’images… “Dans ce road-movie du bitume, il dévoile de visu son trafic existentiel, son commerce non équitable avec les autres et la géomancie captivante de ses photographies, source de plaisirs solitaires” (Brigitte Ollier)
Jeunes gens, adultes suractifs, personnes âgées, enfants… ainsi telle ou telle silhouette passante devient-elle une figure de penseur, de songeur, de dormeur… une amante désespérée, une jeune fille boudeuse, un businessman occupé… tout ce que notre imagnation peut recréer d’après la prise acérée de Jean-Christian Bourcart. “Il y a un masque social derrière lequel la personne réelle, existentielle, se protège. Comme mon action n’est pas dans les règles de l’échange social admis, les gens visés ne peuvent que me révéler leur vrai visage. ils n’ont pas de réponse stéréotypée à me proposer – ou à m’opposer. Ils sont dans une sorte d’ébahissement. Comme des lapins surpris, la nuit, dans les phares des voitures” (Jean-Christian Bourcart)
Ici un assoupissement après une dure journée de labeur. Tout autour du dormeur on devine le flot des soucis peut-être jusqu’au tourment. Le poids de la vie. Là un regard croise l’objectif, le fixe. Une pluie morose sur un visage triste. Un paysage qui défile à toute allure sur une expression arrêtée. Une bouche rouge, un feu rouge. Une mise apprêtée – costume social soigné. Un négligé las. Des peaux fatiguées, surexposées, maculées par les vitres qui en filtrent l’éclat. La vie qui imprime ces peaux comme les feuilles du texte de leurs vies.
“Traffic contraste avec l’isolement des sujets représentés et permet de les remettre dans leur contexte. C’est comme une circulation hors-cadre. Et puis, Traffic étant traditionnellement employé pour la circulation des produits, c’est comme faire un commentaire sur la condition de ces gens. Et la mienne aussi.” (Jean-Christian Bourcart)
De ces “transports”, c’est le mouvement de la vie qui nous est livré. Une vie faite d’écrans, de prismes, de masques. Des pelures de nous-mêmes que Jean-Christian Bourcart s’attache à soulever avec une lucidité plastique, une tendre cruauté…
Traffic a été photographié à New York, sur Canal Street. En regard des images, l’entretien réalisé par Brigitte Ollier – duquel sont tirées les citations ci-dessus – développe finement les tenants et les aboutissants de l’un des travail photographique actuel les plus saisissant… ; photos en couleur.