1ère édition tirée à 750 exemplaires / 1st edition of 750.
Le style photographique de Lara Gasparotto (1989), fait d’impulsivité et de tendresse, de corps inscrits dans des mondes flottants entre nature et béton, de lieux et de moments d’aurore ou de crépuscule, lui a valu très vite une large reconnaissance artistique. Refuge est déjà son sixième livre et on y trouve ce mélange de douceur et d’âpreté, présent dès le début mais ici changé, mûri. La photographe a fait évoluer, année après année, cette singularité qui lui appartient et qui donne à ses images une tonalité mêlée d’impermanence et de spleen tout en regardant toujours ailleurs, avec les yeux de l’amour et du ravissement apporté par la nature.
Refuge traverse quatre années d’une pratique photographique presque quotidienne, dans l’environnement proche de l’artiste mais aussi bien plus loin, jusqu’en Guyane, en passant par le Québec et la Louisiane. Plus qu’une pratique, c’est plutôt une manière de regarder le monde qui anime Lara Gasparotto. Un monde d’extérieur, de flore, de faune, de pluies, de soleils, de lacs, d’arbres, où évolue sa large famille de cœur qui commence par un enfant, sa fille Lucia, qu’on retrouve à intervalles réguliers dans le livre comme une figure qui incarne bonheurs et tourments de l’âme universelle. Les yeux de Lara sont maintenant à hauteur d’enfance, ou à hauteur de fleurs ou de chats. La liberté un peu sauvage qui a toujours caractérisé le travail de Lara Gasparotto a évolué. Aucune mièvrerie dans le livre, au contraire : quiconque vit au contact des choses, sait que la nature et l’amour sont robustes et vulnérables en même temps, et que toute vie recèle en elle les traces de sa disparition future, de la mort. Refuge est ainsi aussi une clôture, une méditation, un silence sur le présent fragile, intense, de nos existences.
Lara Gasparotto a passé un hiver et un printemps à travailler la sélection et l’organisation du livre. Au final, Refuge délivre une subtile narration sans chapitre, sans numéro de page, où le rythme est changeant, où la tension subtile du montage sensible créé par l’artiste ensorcèle et émeut. Rejointes sur la couverture par une illustration de Lissa Gasparotto et à l’intérieur, par un texte poétique d’Eva Mancuso, les presque cinq cent images qui peuplent le livre sont un peu plus que strictement de la photographie : intuitive et nourrie par la peinture, Lara Gasparotto va chercher avec du pastel, de la gouache, parfois même de l’huile, des éléments ténus de ses photos qu’elle modifie, rehausse, souligne puis qu’elle rephotographie pour au final, très subtilement, déplacer l’image du mécanique et du chimique vers l’expressivité fugace du vivant. -Anne-Françoise Lesuisse, août 2024