Dès les premières pages, sans trop savoir où nous allons, voilà que nous progressons lentement sur un chemin de brûlure et de métamorphoses. Nous traversons des paysages, des corps, des forêts, des scintillements, une rivière, le temps. Des peintures anciennes se devinent et un geste se répète : quelque chose a lieu.
Comme dans la Divine comédie de Dante, le livre Brûlure de Linda Tuloup, mis en page par le graphiste Ruedi Baur, nous entraîne lentement dans l’obscure clarté où l’être ne finit jamais d’errer.
Avec ses images délicates, la photographe pousse nos corps et nos âmes dans les constellations de l’être, dans la question éternelle, dans l’éternelle nécessité de l’être. Les brûlures qu’elle risque sont là afin que les images se chargent d’aura bien plus qu’elles ne disparaissent.
Lorsqu’elles brûlent, soudain en leur centre, une amande incise s’ouvre afin qu’accouche un autre territoire. Linda Tuloup traque l’insaisissable. Chacune et chacun tournent autour d’un tel espace entre flamme et cendre.
C’est en 2020, année marquée par le confinement, que Linda Tuloup commence la série Brûlure.
« En ce début de confinement, j’ai été un peu anéantie mais je savais que le désir et l’élan créatif étaient encore vivants. Cloitrée chez moi, je me suis mise à découvrir un nouvel espace, de ma chambre jusqu’à mon jardin. Et de mon jardin jusqu’à ma chambre.
Une phrase de Gaston Bachelard tournait indéfiniment dans mon esprit : « quand on veut que tout change, on appelle le feu ». Et puis d’autres encore : « le feu est l’ultra-vivant », « le feu est intime et il est universel. Il vit dans notre cœur. Il vit dans le ciel. Il monte des profondeurs de la substance et s’offre comme un amour », « les flammes poussent à une rêverie plus libre ».
C’est ainsi que j’ai commencé une série d’autoportraits avec mon polaroid.
C’était simple et la révélation immédiate. J’en prenais un par jour.
À chaque fois qu’apparaissait une nouvelle image, je craquais une allumette et je brûlais. En convoquant les flammes, j’ai ouvert les corps pour essayer d’accéder à l’invisible.
Sous mes yeux l’image se métamorphosait de manière profonde, rapide, frappante et définitive. J’ai vu dans cette plaie un élargissement de l’être, une brèche par laquelle la lumière peut nous toucher.
De nouvelles couleurs naissaient : du violet, du fuchsia, de l’or.
Car le feu attaque du dedans et creuse au cœur de l’être, ce qu’il a illuminé en garde pour toujours une couleur ineffable ».
Une fois le livre refermé, plane au-dessus de nous le fantôme de la « question sans réponse » de Georges Bataille : « L’immensité, comme toi, n’a pas de robe. Silencieuse et nue, n’est-ce pas l’intimité de l’univers à laquelle t’ouvre un vertige intolérable ? » ; texte de Colin Lemoine, photos en couleurs.
Traduire la sensualité. « Nous nous souviendrons sans doute du contexte dans lequel ce livre fut conçu. Toujours est-il qu’en ce nouveau puritanisme le maniement d’images d’un corps nu pouvait très vite prendre une toute autre signification. La notion de brûlure, tout à fait compréhensible pour les uns, n’atténuait en rien la possibilité de fausse interprétation de l’œuvre pour ceux qui, jamais, n’eurent la chance de la ressentir.
Ce qui ne devait constituer qu’un simple exercice de mise en page de photos d’une artiste appréciée devint donc très vite un sujet d’importance.
Comment traduire sous la forme d’un livre la sensibilité de l’artiste ? Comment faire ressentir la sensualité de cette brûlure sans qu’elle ne devienne ni niaise, ni pornographique sachant que l’association entre la brûlure et le livre ouvrait d’autres interprétations encore ? Comment faire découvrir sans trop donner à voir ? Comment faire lire le jeu avec les mots et les images ? Le résultat est là. Je ne vais pas le commenter. Ce fut une riche expérience ». — Ruedi Baur, mai 2024
« Approchant une allumette de ses polaroïds au risque de les détruire, Linda Tuloup accomplit un magnifique geste ordalique : grâce à la flamme, une autre photographie se révèle, dont les brûlures — ces fleurs de feu qui s’écrivent sur l’image — composent une pellicule d’auréoles rouge et jaune cernées de bleu, un paysage ardent et tumultueux. Cette seconde peau, en se surimprimant aux nudités qui, chez Linda Tuloup, relèvent d’un rite d’exposition à la lumière, vient en déjouer l’ordonnancement.
Ce livre raconte ainsi le mystère d’une double cérémonie : feu et nudité y coïncident. La flamme augmente le nu ». — Yannick Haenel, mai 2024 .
« En jouant avec le feu, passant l’image de la nudité au révélateur de la brûlure, Linda Tuloup nous consume par amour ». — Arnaud Laporte, juin 2024