” Le ciel est totalement turquoise, pas un nuage à l’horizon.
En ce jour du 21 septembre 2001, la journée s’annonce radieuse.
Nous sommes exactement dix jours après les attentats du 11 septembre à New York.
(…)
Je venais d’emménager dans un appartement, avenue de Muret, qui me semblait spacieux comparé à mon ancien studio cabine. Malgré le luxe de ma mini terrasse qui donnait sur la Garonne, s’il vous plaît, sur laquelle une seule chaise pouvait prendre place, il n’était pas possible pour moi de changer ma vieille voiture cabossée, une Visa grise qui me donnait parfois une allure de Peter Falk dans Columbo. Mais, en ce jour ensoleillé, je savais qu’elle pourrait démarrer relativement rapidement.
9 h 45
Après quelques tours de clefs, me voici en direction des Éditions Milan en remontant l’avenue de Muret, direction la route d’Espagne ; je longe d’un côté la Semvat – la réserve des bus de Toulouse – et de l’autre l’usine AZF, qui se trouve à moins de cinq cents mètres de la rédaction.
10 h 00
Après une entrée joviale à Milan Presse et un petit coucou aux équipes de Pyrénées magazine, je me dirige assez rapidement – comme à mon habitude – vers la machine à café, pour y rejoindre un ami journaliste. Nous décidons alors de sortir du bâtiment pour profiter pleinement de la météo clémente, nos cafés en main.
10 h 12
Une cigarette dans la main droite, un gobelet d’un très mauvais café de distributeur dans la main gauche, je suis prêt à refaire le monde avec mon collègue.
10 h 17
Un claquement énorme retentit. Face à moi, le ciel s’ouvre totalement. Pas le temps de dire un mot ni d’une réaction. Tout vole autour de moi. Mon ami se retrouve au sol et hurle « Je brûle, je brûle » ; je lui explique que ce n’est que mon café qui s’est renversé sur son dos, je me mets à rire nerveusement.
Je situe l’explosion non loin d’ici, en face de moi, sans comprendre ce qui se passe. Un silence assourdissant accompagné de tous types d’alarmes donne une atmosphère chaotique. Je comprends que la situation est grave, nous avons tous les événements des Twin Towers dans la tête, les regards se croisent pleins d’incompréhension et de peur. Je prends aussitôt mon téléphone portable pour appeler mon père qui vit à Narbonne, à quelques kilomètres de Toulouse : « Papa, il vient d’y avoir une explosion énorme à Toulouse. Tout est détruit autour de moi, je vais bien, je suis vivant, passe le message à la famille. »
Je raccroche et j’essaie de téléphoner à ma compagne pour lui dire que tout va bien, mais les lignes de téléphone sont saturées… Les moments qui vont suivre sont encore troubles pour moi à ce jour. En tant que reporters photographes, nous sommes aguerris à vivre certaines situations pour couvrir des événements dramatiques et conserver notre sang-froid. Aujourd’hui, la situation est différente : je ne suis pas envoyé sur un événement, je suis dans l’événement. Il fallait absolument que je reparte chez moi chercher mon matériel photo sans savoir ce que j’allais découvrir.” -Extrait du texte témoignage d’Ulrich Lebeuf
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Ulrich Lebeuf, né en 1972, est un photographe français. Membre de l’agence MYOP depuis janvier 2007, ses travaux sont publiés dans Le Monde, Libération, The New York Times ou des magazines comme Grazia, VSD, Géo, M Le Monde…