« Le 9 juin 2020, j’ai reçu un appel.
De ce côté-ci de l’Atlantique, il devait être dix heures, oui, il devait être dix heures.
Il est mort, m’a-t-elle crié. Je l’ai trouvé mort. » – Oleñka Carrasco
Expérience humaine par excellence, la confrontation avec la mort est ici racontée à travers la ré-appropriation artistique des archives familiales ; photographies, vidéos, audios… des milliers de documents envoyés par WhatsApp sur lesquels l’artiste intervient et crée des œuvres en soi. Par ailleurs, Oleñka Carrasco réalise des prises de vue de son lieu de vie en France, la « maison prêtée », clichés qu’elle transforme, manipule, altère par l’utilisation d’une machine à écrire. Le texte dactylographié dialogue avec les images et semble, à mesure que l’histoire se raconte, révéler le mystère de ces vies humaines tout en l’intensifiant.
« Je décide de raconter et décrire cette expérience violente et douloureuse : construire un deuil dans une maison d’enfance prêtée par d’autres. » – Oleñka Carrasco
Il s’agit d’une démarche artistique mais aussi émotionnelle. Ce travail, qui mêle autant l’écriture que l’art visuel, permet à Oleñka de vivre la disparition de son père malgré la distance qui les sépare (il meurt au Venezuela, elle est confinée à Paris, en pleine pandémie) renouant ainsi les liens avec sa famille et sa patrie, distendus par l’exil.
A travers l’histoire intime d’un deuil s’ouvre une réflexion plus large sur les liens filiaux, l’exil, la patrie, l’appartenance à un pays, une culture, une civilisation. Le deuil révélé par le travail d’Olenka est multiple : deuil du père mais aussi de la patrie, de l’identité, de l’enfance dans un lieu, un pays à jamais disparu. L’artiste explore via sa pratique artistique la perte de l’être aimé, de la maison aimée, du pays aimé.
« C’est à travers la simple histoire de la perte d’un être aimé, mon pater, que l’effondrement du Venezuela, ma patria, se révèle à moi. » – Oleñka Carrasco
Ce livre offre un travail exemplaire sur une histoire intime, les archives visuelles d’une famille, posant la question de la mémoire et de l’oubli, de la réappropriation par l’art du passé et des souvenirs.
L’ouvrage, qui mêle autant l’écriture que l’art visuel, est conçu en deux parties.
De la figure du père, ou du « pater » au chapitre 1, Oleñka nous conduit à celle de la patrie, ou « patria » au chapitre 2. A partir d’une histoire familiale, personnelle, l’artiste touche à une grande histoire collective et humaine, celle de l’appartenance inaliénable au clan et au pays qui nous a vu naître.
Le chapitre 1, « Maison prêtée pour un deuil », est le récit intime d’un deuil vécu à distance. Oleñka se trouve en France, dans une maison d’enfance « qui n’est pas la [sienne] » quand elle apprend le décès de son père qui vivait au Venezuela. Au cœur de la pandémie, Oleñka vit le deuil de son père à distance, à travers la création d’une œuvre photographique et littéraire d’une grande puissance. Le chapitre 2, « Petit pays », aborde la question universelle de l’exil et du lien indéfectible qui lie chacun d’entre nous à notre patrie, notre terre d’origine, quels que soient notre histoire et notre cheminement.
Un entretien entre Oleñka Carrasco et l’écrivain vénézuélien Alberto Barrera Tyszka réalisé par la journaliste Saraí Suárez met en perspective l’histoire contemporaine du Venezuela à travers le récit familial de l’artiste.