Le 30 mars 1867, le Secrétaire d’État américain William H. Seward achète l’Alaska à la Russie endettée pour un coût dérisoire (7 millions de dollars, soit moins de 5 dollars au km2). Quatre années de Guerre de Sécession ont mis à mal l’Union. Avec cette acquisition, Seward espère retrouver une unité nationale en flattant la fibre expansionniste des Américains. Mais ce vaste et lointain territoire glacé, séparé des États-Unis par le Canada, ne suscite guère d’intérêt. On se moque de cet achat et on a tôt fait de surnommer l’Alaska « Walrussia », mot-valise composé de walrus, « morse », et de Russia. Tour à tour département, district puis territoire, il faudra attendre 1959 pour que l’Alaska devienne le 49e État américain, le plus septentrional, le plus étendu aussi (grand comme trois fois la France) mais l’un des moins peuplés. Sa position stratégique – l’Alaska est séparé de la Russie par le seul détroit de Bering, et du reste des États-Unis par le Canada – en a fait un espace ultra-sensible durant toute la Guerre froide et, aujourd’hui, le dérèglement climatique et la fonte des glaces en font l’objet de toutes les observations.
Ronan Guillou entreprend quatre longs voyages en Alaska, chacun à une saison différente, du printemps à l’hiver. Saisi par ce qu’il découvre, un territoire qui porte encore les traces de son passé – terre autochtone et sauvage qui a vu déferler colonisateurs, trappeurs et chercheurs d’or –, il va, comme à son habitude, s’intéresser aux fragiles équilibres entre civilisation et nature. Guidé par la force de ses rencontres avec une population souvent marginale ou soumise aux rudesses locales, et par la captation d’un éphémère jamais dénué de sens, le photographe ne cède pas à la tentation d’images exotiques, qui sont pourtant nombreuses dans un pays qui a toujours su cultiver les paradoxes. Certes, il ne passe pas à côté de situations qui révèlent, comme il l’écrit, « une discrète surréalité » mais il résiste à la séduction opérée par l’absurdité qui naît parfois du réel. Ce sont les histoires qui l’intéressent, les « expériences avec les humains et les lieux », plus que la fabrication d’images. Il en résulte un corpus de photographies étonnamment libres, rythmé par les quatre saisons de ses voyages, et témoignant d’un « récit en zig-zag », comme le souligne l’écrivain Brice Matthieussent dans un des deux textes qui accompagnent ce livre, l’autre étant rédigé par l’historienne de l’art et conservatrice à la BnF, Héloïse Conésa.
Ronan Guillou est prématurément décédé en octobre 2022. L’exigence que procure la lenteur était fondamentale dans sa démarche photographique. Travaillant avec un appareil moyen format (6 x 6), il était resté fidèle à la photographie argentique et prenait plaisir à découvrir le résultat de son travail après coup, lors du développement de ses films.
Death as Loud as Life
Purchased by the United States from Russia in 1867, Alaska is America’s northernmost territory. It is also the largest, one of the least populated, and one of the most strategic states. While the Wild West fascinates photographers, few ever venture to Alaska. Before his untimely death in late 2022, Ronan Guillou made four extensive journeys to Alaska. A photographer of the ephemeral, guided by the intensity of his encounters, he did not give in to the temptation of exoticism—something easy to do in this land of paradoxes. The result is a body of astonishingly free-flowing images, punctuated by the four seasons. Brice Matthieussent and Héloïse Conésa contribute essays that shed light on Guillou’s œuvre.