Ils ne sont pas vivants, mais ils ne sont pas morts non plus, ce qui est déroutant car l’un exclut l’autre, n’est-ce pas ? Nous avons la nuit, nous avons le jour — mais nous avons aussi le crépuscule.
Il y aura des difficultés à résoudre, mais ça en vaut la peine. Être mort, point final, est d’un tel ennui que je n’ai rien contre quelques défis dès lors que je peux continuer à vivre.
Extraits du dialogue entre Stéphanie Solinas et Linda Chamberlain, fondatrice d’Alcor, société de cryogénisation post-mortem dont le mari est aujourd’hui cryogénisé et Max More, PDG d’Alcor.
Peut-on éviter la mort ? Comment dépasser notre finitude ? Dans Le soleil ni la mort, Stéphanie Solinas interroge cette possibilité du point de vue de la cryogénisation, procédé scientifique, et des croyances qu’elle porte en elle.
Cet ouvrage, dont le titre est inspiré de la maxime de François de La Rochefoucauld, « Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement », se déploie sur un terrain futuriste, à la fois géographique et spirituel. L’artiste questionne notre quête d’immortalité à travers un dispositif croisant une expérience visuelle qu’elle a vécue lors d’un vol en avion avec sa rencontre avec les dirigeants de la société de cryogénisation Alcor, basée en périphérie de Phoenix, aux États-Unis.
L’ouvrage s’organise en une séquence quasi-filmique d’un moment crépusculaire photographié par l’artiste depuis un petit avion volant au-dessus de San Franscico et rythmée par son dialogue au phrasé court avec la fondatrice et le PDG de la société Alcor. Prise entre coucher de soleil à l’ouest et lever de pleine lune à l’est, Stéphanie Solinas photographie l’un puis l’autre, empêchée d’embrasser les deux points de vue en même temps. Les larges double-pages qui rappellent les ailes déployées de l’avion dans lequel elle se trouvait, égrènent alternativement les imperceptibles changements du crépuscule solaire et de l’aurore lunaire. Le subtil mélange entre le défilement des images presque identiques et hypnotiques et la cadence irrégulière du dialogue livré, parfois surréaliste, entraîne le lecteur vers le chemin de la réflexion.
Au fil des pages, le rythme impulsé par l’artiste peut provoquer vertiges et surprises. L’ineffable poésie de cette conversation sur le refus mortel glisse furtivement vers des questionnements philosophiques, éthiques et religieux qui englobent la croyance de la renaissance, l’être humain de demain, l’éternité possible, notre identité future, ce que nous souhaitons concéder à la science de la Silicon Valley. À ces interrogations, Le soleil ni la mort n’impose aucune réponse mais ouvre le champ de la pensée et de la projection.
En couverture de l’ouvrage, une boussole, dessinée par Stéphanie Solinas, sert de point d’ancrage à ce voyage en terre de croyance. Depuis 2014, Stéphanie Solinas mène un projet de cartographies des identités au croisement de la science et de la spiritualité, sur trois terrains choisis : l’Islande, l’Italie et les États-Unis, faisant émerger trois séries de travaux — Le Pourquoi Pas ?, L’Inexpliqué et Devenir soi-même, qu’elle nomme « Les Aveugles éblouis ».
Aux États-Unis, berceau du « New Age » et centre de la high-tech mondiale, elle a investigué les lieux emblématiques de cette double nature et recueilli la parole de scientifiques et de guides spirituels afin d’explorer les perspectives de développement offertes à l’humanité, entre spiritualité, intelligence artificielle et promesses d’immortalité. Son travail vise à éclairer les mécanismes de ce qui constitue nos identités, cherchant à rendre visible l’invisible et à donner une matérialité aux croyances. Pour chacun de ses projets, Solinas crée des œuvres protéiformes (photographies, livres, installations, jeux…). Dans cet ensemble, le livre est toujours envisagé, comme c’est le cas dans Le soleil ni la mort comme un espace d’interaction physique, philosophique et poétique avec le lecteur.